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La cuisine arabe est délicieuse-
Elle est régie par un principe: n'offrir que des viandes très cuites.
Les principaux plats sont composés à l'aide du mouton, du poulet ou des
pigeons. Le mouton est servi rôti et entier: c'est le fameux méchoui qui
est exquis, et s'il est gras, garde, même en plein air vif et frais,
toute sa chaleur sous la graisse que revêt la peau croustillante. Les
poulets sont généralement servis en ragoût. Le repas commence souvent
par un potage très épicé - et par des brochettes de foies ou de rognons
grillés. Il continue par le méchoui et les poulets présentés en divers
ragoûts, puis par les tourtes feuilletées aux amandes et aux pistaches
dont les pâtes légères comme des crêpes fines enveloppent des pigeons.
Puis vient le couscous (semoule ou riz, accompagné de légumes), enfin,
diverses pâtisseries au miel, aux amandes, aux pistaches, terminent ces
agapes pantagruéliques... et coûteuses, même en Afrique. (Chiffrez le
prix de revient d'un menu pareil à Paris, en songeant seulement qu'il y a
au moins 3 ou 4 ragoûts de poulets, et 3 à 5 poulets par ragoût).
Je trouve pour ma part que si rien n'est plus charmant que d'accepter
l'invitation à dîner que vous adresse de lui-même et gracieusement un
ami indigène, rien n'est plus odieux que de voir le sans-gêne et la
goinfrerie de certains voyageurs européens qui s'invitent ou se font
inviter par curiosité ou par gourmandise. Si ces gens-là savaient le mépris
qu'ils éveillent chez leur hôte; j'aime à penser qu'ils sauraient
mettre plus de discrétion dans leurs procédés. Au reste jamais ce mépris
n'apparaîtra dans l'accueil de ceux qui le ressentiront. Mais pour qui
est doué d'un peu de tact, quelle différence n'y a-t-il pas entre le
repas offert (presque par ordre) et le repas où l'on vous a prié parce
que l'on vous connaît déjà et que l'on vous considère comme un ami!
Que de délicieuses soirées j'ai passées ainsi à Marrakech, à Safi, à
Fez, à Rabat, à El Goléa !, Chers amis lointains, si vous saviez
combien je vous trouvais infiniment plus intéressants, plus agréables et
d'une « classe », d'un « style » de civilisation infiniment plus élevés
que la plupart des « gens du monde » avec qui je dîne à Paris, ou que
je coudoie dans les grands restaurants! Un Chinois me disait un jour: «
La France et la Chine sont deux grands pays parce qu'elles ont su toutes
deux garder en honneur une religion, une politesse et une cuisine ». Il y
a beaucoup de vrai dans ce propos d'après-dîner. Mais s'il est exact,
rendons hommage à l'Afrique du Nord qui a su garder elle aussi une
religion, une politesse et une cuisine.
Voici une chanson que cite Jérôme Tharaud (qui « s'y « connaît en
cuisine ») et où l'on trouvera la liste de la plupart des plats de la
cuisine arabe
« Louange à Dieu, dit la chanson,
« qui a créé les doigts pour prendre
« les bouchées dans le plat
« et les dents pour déchirer
« la viande du mouton et du poulet
« et la langue pour proclamer
« la douceur du concombre,
« des raisins et des grenades !
« Louange à Dieu, parmi les hommes libres,
« aussi bien que chez les esclaves !
« Louange à Dieu, qui nous a gratifiés
« du prince célèbre dans toutes les tribus,
« notre maître, le glorieux Kouss-kouss,
« et des crêpes trempées dans l'huile,
« et des poules farcies d'amandes,
« et du très adorable vermicelle au beurre,
« et des beignets au safran et au miel,
« et de cette pâte feuilletée garnie de fruits et d'épices indiennes,
« et du ragoût, fils des cendres,
« et de sa sueur bien-aimée,
« la sefa aux coing sucrés
« dans la viande de mouton ! (1) »
(1) ] J. THARAUD. - Rabat
ou les heures marocaines. Paris, Plon, in-12, p. 178.
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